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En 2014, la ville de Marioupol est devenue un symbole des transformations urbaines. Après avoir libéré la ville des occupants russes, les gens ont dû repenser l’ordre des choses établies à l’époque. Le noyau culturel de la ville évolue à grands pas : il y a des espaces culturels et éducatifs, de nouveaux centres s’ouvrent tout le temps, des festivals ont lieu. Cette histoire est celle d’un nouveau foyer culturel qui réunit la communauté de la ville, cette fois dans une église unique, car elle est entièrement décorée avec la peinture de Petrykivka.

Marioupol est un grand centre industriel, une ville portuaire, qui a toujours joué un rôle important dans la protection des frontières de l’Ukraine, au bord de la mer d’Azov. Début mai 2014, la ville a été occupée, mais en un mois, l’unité spéciale « Azov » a réussi à la libérer.

Unité spéciale « Azov »
Formation de la Garde nationale d'Ukraine, qui a été formée en 2014 en tant que bataillon de volontaires et est basée à Mariupol.

Aujourd’hui, Marioupol se développe grâce à des initiatives culturelles de militants locaux. Suite à l’année 2014, de nouveaux espaces et centres culturels commencent à apparaître dans la ville. L’un de ces centres culturels et éducatifs devient le bâtiment de l’église de Petro Mohyla et la cathédrale de l’Assomption de la vierge Marie. C’est la seule église en Ukraine décorée entièrement avec la peinture de Petrykivka, une technique traditionnelle ukrainienne. La bénévole et la paroissienne de l’Église orthodoxe d’Ukraine Maryna Peretyatko, dont le père et le frère y sont prêtres, voit des changements positifs dans l’humeur des gens.

— Les gens sont devenus plus sensibles après la guerre et Maïdan (la place centrale de Kyiv ou la révolution orange en 2004 et de l’Euromaïdan s’est passée). Je pense qu’au cours de ces six dernières années, les gens ont beaucoup changé, car ils ont réalisé que nous pouvions changer beaucoup de choses nous-mêmes.

Maryna dirige une branche de l’organisation caritative de Donetsk « Eleos-Ukraine » , qui s’occupe des citoyens socialement vulnérables : on leur donne des repas, on les aide à trouver un emploi et un logement, on contribue à leur développement spirituel et à leur éducation. Avec le début de la guerre, beaucoup de gens ont commencé non seulement à aider, mais aussi à collecter de la nourriture qu’on stocke dans un dépôt de l’église.

— Une Église indépendante est d’une grande importance pour l’Ukraine. Historiquement, l’Église avait une influence sur la conscience des citoyens. La langue ukrainienne ne doit pas tomber en désuétude. Et de même manière, on ne peut pas abandonner l’Église ukrainienne. Les services se déroulent en ukrainien dans une Église ukrainienne. Les gens prient en ukrainien.

Décorer l’église avec la peinture de Petrykivka

En 1998, on a posé la première pierre de l’église de Petro Mohyla et de la cathédrale de l’Assomption de la vierge Marie. Il y a 23 ans, la paroisse a acheté un ancien bâtiment de la gestion maritime et elle a commencé sa reconstruction. Les travaux se poursuivent jusqu’à nos jours, puisqu’ils sont financés par les dons. Le bâtiment de deux étages abrite deux églises. Au rez-de-chaussée se trouve l’ église de Petro Mohyla pour prier la liturgie, et au-dessus, la cathédrale de l’Assomption de la vierge Marie où se tiennent les cérémonies officielles.

En 2017, Sergiy (Gorobtsov), il est l’archevêque de Donetsk et de Marioupol, a eu l’intention de décorer des églises avec des motifs ukrainiens, mais on n’a pas réussi à le faire d’emblée. Un peu plus tard, un bénévole de Marioupol, Kyrylo Dolimbaev, qui apportait de la nourriture pour le restaurant social de l’église, s’est proposé pour réaliser son idée. Il a fait une publication sur Facebook, pour faire appel aux gens afin de collecter de l’argent pour ce projet. Plus de 350 mécènes ont recueilli près de 10 millions de dollars en moins de 3 mois.

Olga Tcheremushkina a fait un croquis et a peint les églises, et Maryna Peretyatko a aidé l’artiste à appliquer une décoration autour des fenêtres. Elles ont peint avec des peintures acryliques, en vernissant la surface après. Il est symbolique que les travaux aient commencé à l’anniversaire de la libération de Marioupol, le 15 juin 2020 ( l’armée de terre ukrainienne a libéré la ville des occupants russes le 13 juin 2014 — éd. ).

Les filles font disparaître la fatigue, après un travail épuisant sur l’échafaudage sous le soleil ardent, par la musique et la poésie. Les deux adorent les œuvres de Lina Kostenko, voilà pourquoi elles ont décidé de réciter « Marysia Churaj ». Lorsque Maryna finissait le travail en avance, elle s’asseyait sur l’échafaudage près d’Olga et commençait à réciter.

Olga

Olga Cheremushkina est née à Dnipro. Après son mariage, elle a rejoint son mari à Marioupol, mais, depuis le début de la guerre, la famille habite à Lviv. Olga se souvient qu’elle a vu pour la première fois la peinture de Petrykivka dans les livres pour enfants. Le conte de Kolobok (Roule Galette en français), décoré avec cette peinture, a envoûté la petite Olga. Plus tard, en colonie de vacances d’été, elle a fréquenté l’atelier de peinture de Petrykivka. Après la neuvième classe, elle est entrée à l’École Supérieure des Arts Décoratifs à Petrykivka. Olga raconte qu’à Dnipro, il y avait beaucoup d’artistes de peinture de Petrykivka, d’où provient cet ornement connu, et qui se trouve à 50 kilomètres de la ville.

La famille a déménagé à Lviv, lorsqu’en 2015 la ville de Marioupol a été attaquée. A l’époque, le mari d’Olga était militaire dans l’unité spéciale « Azov ». Olga enseigne aux enfants et aux adultes la technique de la peinture de Petrykivka, elle organise des ateliers dans les écoles et donne des cours en ligne, fait des illustrations pour les livres et des designs d’impression pour vêtement.

— J’adore car je fais ce que j’aimais faire dans mon enfance. Rendez-vous compte, il y a peu de personnes qui ont trouvé un travail qu’ils aiment. Je pense que j’ai eu de la chance !

En Ukraine, il y a des églises qui sont partiellement décorées avec la peinture de Petrykivka, comme par exemple, l’église de Saint Yurij à Kyiv, l’église de Saint Spyridon le Merveilleux de Trimythonte à Dnipro, l’église de St. Panteleimon à Lviv et beaucoup d’autres. Mais les églises de Marioupol sont les premières, dont l’extérieur est entièrement décoré par petrykivka et inscrites sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Pour ce travail, Olga Tcheremushkina a obtenu un diplôme du Livre des Records d’Ukraine. Désormais, on envisage d’utiliser les éléments d’ornement de petrykivka aussi pour la décoration intérieure.

La peinture de l’édifice à Marioupol est un deuxième record pour Olga. En 2014, l’artiste a peint les 133 mètres de la clôture de base du bataillon « Azov » par petrykivka à Urzuf, près de la mer d’Azov. À part ça, l’artiste a décoré les tétrapodes de béton ( structures de protection — éd. ) des check-points à l’entrée de Marioupol avec le motif national.

Olga raconte que parmi ces commandes, il y avait une décoration de 800 mètres de la clôture de stations balnéaires, le réseau des restaurants de Marioupol et l’intérieur de l’hôpital et de la garderie. À Marioupol, elle a travaillé pour la première fois avec un mur de l’édifice d’une taille identique. Après avoir terminé les travaux, elle a reçu beaucoup de commandes similaires de la part de communautés religieuses.

La peinture de Petrykivka a ses propres éléments qui la distingue des autres : en général, il s’agit d’animaux et de fleurs fantastiques, qui symbolisent l’harmonie et le lien entre l’homme et la nature. La plupart du temps, on dessine des « tshubylki » (oignons) – des fleurs qui ressemblent à un oignon en coupe, des « petyshonnia » (lignes spéciales), ainsi que des baies, des brins d’herbe, des bourgeons, des noix. Ils ont longtemps été utilisés pour décorer les murs des maisons, et plus tard – et les articles ménagers.

Pour en savoir plus sur les particularités de la peinture de Petrykivka, lisez l’article « Inconnu au monde Petrykivka ».

Olga qualifie la peinture de Petrykivka de peinture positive, qui apaise l’esprit et vous met de bonne humeur.

— Il est impossible de peindre et de rester de mauvaise humeur. On ne peut rien faire si on est énervé. Je crois que les lignes douces, le dégradé et la combinaison de couleurs, tout cela vous rend calme et gai.

Olga Tcheremushkina veut briser les stéréotypes des peintures de Petrykivka, que les gens pensent être une simple peinture des planches à découper, des magnets de frigo et des porte-bonheurs. L’artiste convainc les gens que la peinture de Petrykivka est plus que des articles de souvenirs. C’est une tradition ancienne, un ornement national qu’il faut faire renaître.

Pour les façades des églises, on a choisi les couleurs blanches et bleues avec des éclats de jaunes.

— La peinture de Petrykivka classique est faite avec des couleurs chaudes. Mais nous avons ici deux églises : celle de l’Assomption de la Vierge Marie et celle de Petro Mohyla. Les couleurs de la première sont le blanc et le bleu, pour la deuxième ce sont des couleurs chaudes. Au début, nous avons eu l’idée de les combiner. Mais après, je me suis rendu compte que si le premier étage était dans des couleurs chaudes avec un dégradé vers des couleurs froides pour la deuxième, ce ne sera pas approprié pour des églises. Voilà pourquoi, finalement, on a opté pour ces couleurs pour l’église de l’Assomption de la Vierge Marie.

De plus, selon Olga, dans cette gamme de couleurs, on peut décrypter le symbole de la ville : la mer et le drapeau bleu et jaune de l’Ukraine.

Les travaux de peinture des façades extérieures ont duré tout l’été. On a terminé les travaux en septembre 2020. Olga Cheremushkina dit qu’on réalisera sa valeur plus tard.

— Ça va attirer l’attention sur la culture ukrainienne, sur l’Église ukrainienne, et plus généralement sur Marioupol et sur l’Ukraine. Je pense que tout se comprend avec le temps : ce que ça donne et ce que ça rapporte.

Les cours de langue italienne dans les locaux de l’eglise, professeur Roman Tchumak. Le 13 février 2021. Photo: Kyrylo Dolimbaev

Créer un centre culturel

En 2020, la Fondation culturelle ukrainienne a attribué à Marioupol le label de “Grande capitale de la culture 2021”. Ce projet a pour but de créer un espace culturel visant au développement du tourisme et au soutien des initiatives culturelles locales.

Marina Peretyatko rêve que l’espace autour des églises devienne un autre centre d’activités culturelles et éducatives.

— On voudrait que l’église soit non seulement un lieu de prières et de rites, mais aussi un endroit où les gens peuvent s’enrichir culturellement.

Le kobzar-lyrnik (barde itinérant) Vasyl Netchepa, le bénévole Kyrylo Dolimbaev, le métropolite de Donetsk et de Marioupol Sergiy ont apporté des livres pour la bibliothèque de Vasyl Stus, qui doit bientôt s’ouvrir dans l'église. Le 7 mars 2021. Photo: Valeria Karoulenko

Juste après la fin des travaux de décoration extérieur, la communauté a commencé à travailler sur la création de l’école de bandoura (un instrument à cordes ukrainien) et de la peinture ukrainienne de Vasyl Slipak. Au debut 2021, on a ouvert le centre éducatif auprès des cours de catéchisme Le centre éducatif auprès des cours de catéchisme a été ouvert début 2021. Olga Tcheremushkina donne des cours en ligne de peinture de Petrykivka; il y a également des cours de broderie et de langues étrangères. L’étape suivante définie par la communauté, est d’ériger un monument aux militaires décédés de l’Opération de Force conjointe et de créer la bibliothèque de Vasyl Stus dans les locaux de l’église. Des bénévoles et des paroissiens collectent des fonds pour les travaux, quant aux livres, ils sont envoyés de toute l’Ukraine.

Maryna Peretyatko observe comment sa ville natale se transforme petit à petit. Sans compter la diversité des initiatives culturelles, on voit également l’amélioration de la situation écologique en ville, la transformation de la région d’un centre industriel à un centre touristique. Car pour ça, dit la fille, on a tout ce qu’il faut dans la ville.

— Pendant la guerre, j’ai reconsidéré ma vision de Marioupol et je l’ai aimée à nouveau. Je vois mon chemin ici, pour contribuer d’une certaine manière au développement de l’Ukraine. Nous rêvons que les usines ferment et que nous ayons une ville touristique cool – avec la mer et avec différents centres culturels et éducatifs.

Le dossier est préparé par

L'auteur du Ukraїner:

Bogdan Logvynenko

Auteure:

Orysia Chiyan

Rédactrice:

Kateryna Lekhka

Correcteur d'épreuves:

Olga Chtcherbak

Productrice,

Intervieweur,

Scénariste:

Karina Piliugina

Assistante de producteur:

Yulia Bezpetchna

Natalija Vychynska

Viktorija Kravtchuk

Lidija Bouliak

Photographe,

Éditeur photo:

Katya Akvarelna

Opérateur caméra:

Pavlo Pachko

Oleksij Chandra

Monteuse:

Nadija Melnytchenko

Réalisateur:

Mykola Nosok

Transcripteuse audio:

Yaroslava Nikitiouk

Trascripteur audio:

Taras Bereziuk

Responsable de contenu:

Kateryna Yuzefyk

Traductrice:

Olessia Bourlette

Éditeur de traduction:

Mohamed Bedoui

Coordinatrice de la traduction:

Olga Gavrylyuk

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